Le rallye du Bandama 1972




Au début des années 70, les rallyes africains sont en plein essor. L'East African Safari est déjà légendaire. Il reste le rallye africain le plus marquant. D'autres rallyes prennent de l'ampleur, comme le rallye du Maroc, celui de Nouvelle-Calédonie ou encore d'Afrique du Sud. Créé en 1969, le rallye du Bandama-Marathon de la Côte d'Ivoire cherche clairement à rivaliser avec son modèle, l'East African Safari.

Le parcours de l'édition 1972 est impressionnant. Il n'est constitué d'aucune épreuve spéciale. Mais les concurrents doivent parcourir les différentes étapes à une vitesse moyenne de 100km/h, ce qui est difficile à respecter à cause du terrain accidenté. Les délais de mise hors course ne laissent pas beaucoup de marge.

Au départ de cette épreuve longue de 4000 km, on trouve 43 équipages. Plusieurs constructeurs sont engagés. En premier lieu Peugeot, avec dix voitures dont quatre 504 préparées à Sochaux pour Beltoise, Fall, Guichet, et Mikkola et une 304 pour P. Palayer. Renault n'est pas en reste avec huit R16TS attribuées à Gamet, Mons, Nicolas, B. Palayer, Reignier, Claudine Trautmann, Vanson et Verrier. L'équipe Citroën quant à elle dépêche une DS coupé prototype pour Neyret (vainqueur de la précédente édition) alors que Bochnicek et Garlet disposent de DS23 fournies par l'importateur.


Renault a fourni un gros effort en
engageant pas moins de huit R16TS

 


Henri Pescarolo et Johnny Rives
sur Chrysler 180

Face à ces puissantes équipes françaises Datsun est la mieux armée. Raudet et Sausset sont engagés sur 240Z. Mais surtout, l'usine engage officiellement deux 1600SSS pour Larrouse et Mehta, ce dernier étant un grand spécialiste de l'East African Safari. Par ailleurs, Chasseuil et trois pilotes locaux parmi lesquels Karam concurrent eux aussi sur 1600SSS.

Chrysler (propriétaire de Simca) est engagée avec deux 180 pour Pagani et Pescarolo et deux 1100S pilotées par des Ivoiriens. Par ailleurs, signalons la présence de la Porsche 911S de Touroul.


Le déroulement de l'épreuve :

Afin d'établir l'ordre de départ, un prologue est organisé. Il s'agit d'une course de côte sur terre battue. Neyret sur son coupé DS signe le meilleur temps. Suivent Touroul sur Porsche et Mikkola sur Peugeot. Neyret est satisfait, car il sera donc le premier à s'élancer, et évitera ainsi d'être gêné par la poussière soulevée par des voitures le précédant.

Les premières étapes forment une boucle de 600 km partant des environs d'Abidjan et y retournant. La première étape, Abidjan - Abengourou, commence par une piste très rapide. L'épreuve est d'entrée de jeu difficile, car à la chaleur, il faut ajouter le manque de visibilité dûe à la poussière. Et malgré cela, les voitures filent à 120 - 130 km/h. A ce rythme soutenu, la Porsche de Tourel n'aura pas résisté longtemps. Il a tapé et brisé un arbre de roue. Il ne pourra pas continuer. Il n'est pas le seul. Pour Regnier, le rallye s'arrête là: sa R16 est sur le toit! A Abengourou, seuls neuf équipages sont dans les temps, tous les autres sont pénalisés! Le ton est donné.


Mikkola réalise un
excellent début de rallye

Cela ne s'arrange pas dans la deuxième étape, Abengourou - Aboisso. La difficulté monte d'un cran. Les concurrents s'enfoncent dans la brousse. La piste se rétrécit, longe la frontière du Ghana. La nuit est tombée, ce qui n'arrange pas la visibilité, mais il faut continuer à un rythme soutenu. Le plateau est sévèrement réduit. Les Chrysler 180 abandonnent toutes les deux, Pagani connaissant une panne de batterie et Pescarolo une casse d'attache de suspension. Peugeot perd Guichet (panne moteur) et P. Palayer (sortie). La 304 retournée de ce dernier est percutée par la 504 d'Assef. Heureusement, personne n'est blessé.

Chez Renault, Gamet (bris du train avant) et B. Palayer (alternateur) disparaissent, tandis que Nicolas rencontre des difficultés avec son embrayage. Au total, 18 équipes jettent l'éponge lors de la première ou de la deuxième étape. A Aboisso, personne n'évite la pénalisation. Neyret ne prend que 6 minutes et conserve la tête au classement général. Derrière lui, Mikkola limite les dégâts avec 8 minutes, tandis que Larrousse écope de 11 minutes. Derrière, Chasseuil, Bochnicek, Mehta, Fall et Beltoise écopent de 21 à 27 minutes de pénalité.


Insuffisamment préparées, les Renault
disparaissent les unes après les autres

La suite du parcours, qui relie Abidjan à Bouaké, se révèle être un nouveau calvaire. La piste est dans un premier temps particulièrement défoncée, des herbes hautes en camouflent les nombreux pièges. Plus loin, elle s'améliore mais se transforme en tôle ondulée. Pour limiter les vibrations, les voitures filent aux environs de 160 km/h. De nombreux concurrents s'embourbent dans les premiers kilomètres, dont Chasseuil sur Datsun qui n'arrivera pas à se dégager. Nicolas abandonne à cause d'un bris de boîtier de direction. Vanson grossit la liste des abandons chez Renault. Peugeot perd Beltoise (bris de support moteur). Quant à Mikkola, il évite à plusieurs reprises la mise hors course en raison d'une intervention sur sa voiture peu avant le départ d'Abidjan qui lui a fait perdre 40 mn.


La DS prototype de Neyret fait
merveille sur terrain cassant

Au départ d'Abidjan, Neyret connaît une belle frayeur: par erreur, on lui verse un jerrican d'eau dans son réservoir! Il pourra continuer, mais doit s'arrêter tous les 100 km pour nettoyer ses bougies, perd du temps, et prend ainsi une pénalité de 63 minutes. Il perd sa première place au profit de Mehta, mais reste en lutte pour la victoire finale, car il n'a que cinq minutes de retard sur le pilote de la Datsun.

Larrousse connaît de grandes difficultés à rejoindre Bouaké. Il commence par casser une biellette de direction puis tombe en panne d'alternateur. Finalement, il évite la mise hors course par le fait que celle-ci... a été allongée de trois heures! Effectivement, sans cet arrangement, seuls Neyret, Mehta, Fall, Mikkola et Raudet, soit cinq concurrents, auraient pu continuer! Bochnicek, Garlet, Karam, Larrousse, Claudine Trautmann, et Verrier sont ainsi repêchés. Les rescapés ne sont plus qu'au nombre de onze! Nous ne sommes alors qu'au tiers de l'épreuve, un peu moins de 1200km ont été parcourus.


Les Citroën disparaissent
dans l'étape Bouaké-Duékoué

L'étape suivante, Bouaké - Duékoué, n'épargne évidemment pas les mécaniques. Les concurrents quittent la brousse et traversent une savane tortueuse, piégeuse. La piste est trouée, traversée par des saignées ou des gués. L'hécatombe continue. Bochnicek et Garlet sur Citroën DS 23 connaissent des soucis mécaniques, Mikkola (Peugeot 504) casse sa suspension avant. Tout comme Neyret (Citroën DS prototype) qui, à bout de force, pense renoncer. Mais son équipier, Terramorsi, motivé pour deux, réussit à colmater la fuite de liquide hydraulique, après deux heures d'efforts. Las! L'équipage a trop accumulé de retard et arrive hors délais à Duékoué, après 800 kilomètres sans suspension!



Larrousse jette l'éponge, support moteur cassé. Quant à Verrier (Renault 16), son joint de culasse rend l'âme suite à une panne de pompe à eau. Claudine Trautmann (Renault 16), victime de nombreuses crevaisons, est mise hors course... pour cinq petites minutes!
Raudet (Datsun), hors course lui aussi, décide cependant de continuer, mais il casse peu de temps après sa boîte de vitesses. Ils ne sont que trois à être arrivés dans les délais, après 2300km parcourus. Mehta (Datsun) se classe premier devant Fall (Peugeot) à 1h04 et Karam (Datsun) à 2h43.


Raudet, auteur d'un excellent parcours,
se retrouve avec une transmission
agonisante, cause de sa mise hors
course puis de son arrêt définitif




Malgré toute son expérience, Mehta ne
viendra pas à bout de ce Bandama 72,
littéralement infaisable

Devant tant de difficultés, ce qui devait arriver arriva! L'étape suivante, Duékoué - Daloa, est fatale aux derniers rescapés, qui connaissent tous leur lot de soucis mécaniques ou de galère. Karam abandonne. Mehta prend de l'avance, mais s'enlise dans un bourbier. Fall arrive sur les lieux. Les deux équipages réussissent à extraire la Datsun. Cela fait plus de 28 heures que Fall et Mehta conduisent quasiment sans discontinuer. A la lumière des phares, les deux voitures progressent péniblement. Les deux équipages s'entraident.



Ils arrivent ensemble à Tabou, vers minuit, avec déjà... près de douze heures de retard! Ils ne sont pas au bout de leurs peines: un violent orage éclate. La piste n'est plus qu'un immense bourbier. Ils continuent ainsi pendant près de trois heures. Fatigué, et sachant que plus personne n'arrivera au terme de l'étape dans les temps, Mehta préfère s'arrêter pour dormir avant de rejoindre Daloa. Fall lui ne se résigne pas et parcourt les 300 derniers kilomètres qui le séparent de l'arrivée de l'étape, où plus personne ne l'attend! Le retard est trop important. Les commissaires sont partis...


Fall, héros
de l'impossible

Epilogue :

Le rallye s'est donc retrouvé sans concurrent, alors qu'un tiers du parcours restait encore à faire!!! Face à cette situation exceptionnelle, que faire? Ne vaudrait-il pas mieux récompenser les derniers survivants, en prenant pour classement final l'arrivée à Duékoué? Surtout quand on réalise l'effort humain accompli, car outre la fatigue inhérente à ce type d'épreuve, les concurrents ont de plus dû essuyer de violents orages, chose rare à cette saison. Ce ne serait pas la première fois qu'une épreuve n'irait pas à son terme, mais qu'un classement serait établi. On se souvient d'un Tour de Corse, en 1961, où pareil cas s'était présenté, suite à une tempête de neige.

Finalement, les organisateurs décidèrent de ne rien entériner du tout! Aucun palmarès ne fut établi. La quatrième édition du Bandama se termine donc en queue de poisson. C'est aussi un aveu d'échec de la part de l'organisation, qui à trop vouloir dépasser l'East African Safari rallye a fini par établir un parcours littéralement infaisable.

Malgré cela, fort d'une renommée grandissante, le Bandama s'est imposé comme une épreuve phare du continent africain. D'ailleurs, le rallye Côte d'Ivoire intégrera le championnat du monde en 1978 et ce jusqu'en 1992.

 

Philippe CALLAIS
pour le Team Forum Rally-Live (2002)

Merci à Beji

 

Sources :

* G.M. Fraichard, "le rallye Bandama (Côte d'Ivoire)", l'Auto-journal n°1973-2, 1er février 1973

* P. Pagani, D. Hindenoch, "Bandama: le rallye impossible", Sport Auto n°113, février 1973

* C. Savoye, "Le Bandama", Echappement n°52, février 1973

 





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